
Burning days, d’Emin Alper, réalisateur turc, est un film d’intrigue haletant dont la dernière séquence, la traque violente d’un procureur et de son comparse, s’achève sur le fil du rasoir, au bord d’un précipice, localement appelé doline. Une doline est un accident géologique qui forme une vaste crevasse dans le sol calcaire ; ce type de dépressions varie de quelques à plusieurs centaines de mètres de diamètre. Selon les cas, on ne les découvre qu’au dernier moment ; dans celui de la course poursuite menée par les villageois d’une ville perdue d’Anatolie, mûs par la haine, une chute fatale aurait pu – et dû – se révéler le plus mérité et le plus opportun des châtiments.
Les hommes deviennent de petites choses face aux éléments naturels, mais bien plus face aux machinations politiques. Et c’est bien l’objet de ce film. Nommé dans une petite ville reculée de Turquie rongée par la corruption, Emre, jeune procureur déterminé et inflexible, se heurte aux notables locaux, bien décidés à défendre leurs privilèges par tous les moyens. Piégé, drogué à son insu, le jeune homme se retrouve mêlé à une affaire de viol. À la tête de l’enquête sur ce crime, en même temps que d’une autre à propos de malversations dans la gestion de l’eau du village, il croise et accepte l’aide d’un jeune homme, propriétaire d’un des journaux locaux. Apparemment peu sensibles aux charmes féminins, l’amitié croissante entre les deux hommes évoque discrètement une attirance homosexuelle.
Depuis sa sortie en Turquie, le film, qui y a fait plus de 250 000 entrées, est devenu l’emblème des protestataire du régime réactionnaire d’Erdogan. Vu de France, ce film ne fait qu’asseoir, que conforter, tous les préjugés négatifs que l’on peut avoir contre ce pays qui est ici montré dans ses pires travers. Les dolines sont ici une métaphore de ses perversions en tout genre : tout semble normal, jovial et bon enfant, mais tout peut basculer, s’effondrer en un instant. La violence est omniprésente, notamment celle à propos de la minorité gitane, dont le traitement, mélange de rejet racial, social et économique, laisse imaginer celui qui a été infligé, au début du XXème siècle, aux Arméniens. Les Turcs votent en mai ; gare aux dolines turques donc, aux glissements de pouvoirs. Le tremblement de terre de ce début d’année peut encore surprendre par ses répliques.
« Les hommes deviennent de petites choses » bien vu. Et le Droit tout autant face aux montagnes de corruption.
J’ai été très impressionné par ce film également.
Bravo pour cette critique.
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