
Entre les cris de liesse de la Libération de Paris en août 1944, avec un Général entouré de ses fidèles, la tête haute et le silence écrasant, la solitude visible d’un Président lors de la cérémonie de commémoration de la fin de la Seconde Guerre mondiale de ce jour, il y a les notes émouvantes, prenantes de la sonnerie aux morts. Elle est claire, haute, distincte, universelle et rassembleuse. Elle permet aux âmes de ceux que Joseph Kessel a appelé « L’armée des Ombres », aux âmes de tous les combattants et de toutes les victimes, de s’élever au-dessus de nous quelques instants.
Un philosophe à prix cassé, ancien ministre de l’Éducation nationale, évoquait ce matin à la radio sa lassitude des cérémonies du souvenir et revendiquait l’absurdité de célébrer indéfiniment les morts. Paradoxe affligeant, il se souvenait en même temps de son père, combattant et héros de la Résistance, dont il ne pouvait ni ne voulait oublier les souffrances. Un tel étalage de contradictions en si peu de mots stupéfie. Les morts de la guerre, de toutes les guerres, ne nous demandent rien, ils nous obligent. Peut-on imaginer les souffrances d’un Jean Moulin sous la torture, la dernière vision d’un combattant sous le déluge de feu d’une plage de Normandie, le dernier cri d’un jeune FFI abattu par une balle ennemie sous le soleil écrasant d’août dans les rues de Paris, les hurlements de terreur et d’agonie des femmes et enfants brûlés vifs à Oradour-sur-Glane, le regard vide des survivants des camps nazis ? Oui, cette solennité, cette suspension du temps est un dû, notre dû à leur sacrifice. Les notes du clairon, sonnerie aux morts, sonnerie aux ombres, s’élèvent et portent notre reconnaissance depuis le sol où nous avons la joie de vivre libres et en paix vers le Ciel où sont accueillis tous ceux, connus ou inconnus, célébrés ou oubliés, qui ont perdu et donné leur vie.