
Charles Perrault est mort un 16 mai en 1703. À court d’inspiration, les idées certainement gelées par ce printemps 2023 décidemment bien capricieux, ce sont les dates qui ont suscité ces mots. Le célèbre conteur était le septième et dernier de sa fratrie, ce qui n’est pas sans rappeler l’importance de ce nombre dans les récits, qu’ils soient religieux, mythologiques ou populaires. Mais ce n’est pas là l’enjeu.
De Charles Perrault on ne retient que les contes et dans ses contes, on retient d’abord bien sûr l’intrigue, mais aussi la morale. C’est ce qu’était avant tout cet homme : un moraliste, qui a mené la vie dure, par l’épée du verbe, à ses contemporains de l’Académie française et particulièrement à Nicolas Boileau. Il mena une lutte féroce des Modernes contre les Anciens. Perrault menait les Modernes et Boileau les Anciens. Au milieu des deux camps, Louis XIV, dont il fallait attirer les faveurs ; et les pensions. C’est étonnant de saisir dans cette querelle, la ressemblance avec le présent, la querelle des Tradionalistes de la langue (française) : l’héritage et uniquement l’héritage et des Inclusivistes : le point médiant et surtout le point médiant. Chez les Anciens, Boileau et consorts donc, la création littéraire, mais pas que, doit s’inspirer de l’Antiquité et ce ne sont que le jugement du public et la postérité qui trancheront, certainement pas une élite docte. Ce qui, encore aujourd’hui, se vérifie. Pour les Modernes, Perrault, La Fontaine et compagnie, le siècle dominé par le Roi Soleil était supérieur à tous les autres et, subséquemment, les œuvres créées sous l’inspiration de la gloire de son règne. Cela rappelle des scènes de l’Élysée, de son Prince actuel et de ses YouTubeurs McFly et Carlito. Le public et la postérité, en avance sur leur futur d’Anciens, ont tranché : de la bouffonnerie !
Mais ce n’est encore pas là l’enjeu de cette divagation qui s’évertue à extraire une prose sensée d’une dépression, et du cerveau, et de la plume. L’enjeu, c’est la version que Perrault a donné à La Belle au bois dormant. Inutile de refaire le récit de cette enfant, née de rois, que sept, et oui : le nombre sept, fées ont doté de toutes les vertus, sauf une méchante qui lui infligea le mauvais sort de la quenouille qui pique le doigt et endort pour cent ans avec tous les gens qui sont autour. Eh bien, dans la version de Charles, le Prince n’embrasse pas Aurore pour qu’elle se réveille. Non, elle se réveille toute seule après que le Prince s’est agenouillé près d’elle. Pour passer à la postérité, Perrault a anticipé les tendances sociétales du vingt-et-unième siècle, en arrangeant pour La Belle un réveil de femme indépendante qui décide de son sort. Même, des précédentes et pléthoriques versions dont il s’est inspiré : Perceforest, Frayre de Joy e Sor de Plaser, Pentamerone, il a retiré le viol. Les Frères Grimm remettront le baiser sur les lèvres du Prince et de sa Princesse, mais c’est une femme écrivain, oui, vous avez bien lu, une femme, Anne Rice, qui en 1999 réintroduira le viol, avec les luxures et toutes les débauches attenantes, dans une version érotique intitulée Les infortunes de la Belle au bois dormant.
Donc, toutes choses bien considérées, Perrault avait raison d’être moderne avant de devenir ancien. Pour la Belle au bois dormant, on peut choisir son camp, on peut louvoyer en concluant que, la Belle, devant la qualité du baiser du Prince, a décidé que cela valait la peine de quitter son pucier poussiéreux. Oui, cela se tient sans même attendre l’avis de la postérité.