
Tous droits réservés & remerciements @ Musées du Louvre & d’Orsay – « Plage », Eugène Boudin ; 1862-70
L’art du peintre est multiple, ou plus précisément son medium : fusain, gouache, huile, sanguine et pastel. Admirer une œuvre c’est lâcher son regard, un regard détaché de tout et surtout des contingences matérielles et idéologiques et ce, parce que l’Art n’est pas militant. Dire cela oppose aux grands sachants une vue sans doute polémique et blâme encore plus certainement les insensés qui s’attaquent aux œuvres dans les musées à coups de sauce tomate.
Parcours enchanteur au milieu des Pastels du musée d’Orsay, de Millet à Redon. C’est là que la réflexion est née. En plus de regarder les œuvres, bien sûr on s’intéresse aux notices. Mais, à un moment, il faut se détacher du commentaire et faire face par soi-même aux sujets qui sont offerts aux yeux. « Le pastel peut se prendre et se quitter, gardant tout au long du travail toute la fraîcheur de son éclat et la fleur de son velouté. » Il en va pour le pastel comme il en va pour le dessin, bien moins pour l’huile, l’aquarelle ou le gouache. C’est ce qu’Odilon Redon nomme les incitations de la matière.
L’Art n’est pas militant. Si l’artiste cherche quelque chose à travers son travail, ce n’est pas à prendre ou à défendre un parti pour faire triompher une cause, sinon celle du regard. L’artiste partage son regard. Il porte un certain regard sur l’instant et c’est celui qui voit qui devient militant ; ou non. Tout comme l’écrivain ne maîtrise pas la lecture qui sera faite de sa prose, le peintre n’en peut pas plus avec son spectateur. Le peintre laisse sa main traduire avec certains outils et certaines matière ce que son regard saisit : la matière du monde, les instants du monde. Il capture avec son œil, se laisse guider par les outils, la matière et le laisse ses traits à l’appréciation de notre œil. Autant de subjectivités qui se confrontent mais ne dialoguent pas forcément à l’unisson.
Faire face à une œuvre n’implique pas obligatoirement une interprétation, une analyse, un jugement. Il est bien agréable de se laisser porter par ce qui est offert, simplement d’essayer de chausser le regard du peintre et de comprendre ce qu’il a vu et comment il l’a vu : le monde en mouvement, la grandeur et la noblesse de la vie selon, non seulement ses propres considérations, mais aussi celles de son époque. Que ce soit Plage d’Eugène Boudin, La Barratteuse de Jean-François Millet ou bien La Petite Gardeuse de porcs de Paul Gauguin, c’est bien un partage de ce que, le temps d’un instant, le peintre a élu de plus important ; une fois posé sur la toile, que ce soit au crayon, au pinceau ou au pastel, le regard, que ce soit celui du peintre ou du spectateur, est déjà nostalgie. C’est regarder ce qui a déjà disparu. D’où l’inutilité de leur faire prendre parti ou de s’attaquer à elle. Une fois posé sur une toile, le regard du peintre, qui n’a jamais cherché qu’à triompher du temps et de l’évanescence par sa technique, ne peut plus se défendre, il n’est plus qu’à la merci de l’admirateur ou du détracteur ; selon les cas.
Seuls comptent l’entrée en regard, le croisement de deux regards que le temps sépare, pour parvenir, comme le propose Eugène Boudin de : « Nager en plein ciel. Arriver aux tendresses des nuages. » Surprendre ces masses bien lointaines dans la brume grise, laisser éclater l’azur. Comprendre par sa matière et sa manière, le regard du peintre. Et éventuellement l’aimer.