Ce matin, comme tous les matins depuis de longues semaines, à longueur de pages, à mesures d’ondes et à kilomètres d’images, les plus éminents experts se déversent en doctes commentaires sur le sort de toute la planète minée par le virus de Wuhan.
Ce matin, à rebours de tous les matins depuis de longues semaines, un détail, des détails, de taille, changent soudainement dans nos vies malencontreusement perturbées de merveilleux irréductibles Gaulois.
Comme ce matin.
En nous réveillant, tout à fait fringants, beaucoup d’entre nous se seront tâtés pour vérifier leur état de santé et de s’exclamer, comme Shrek à son fidèle ami : « T’es pas mouru l’âne ! »
Non : « On n’est pas mouru ! »
Confinés docilement, quoi qu’en disent nos détracteurs d’urbi et d’orbi, nous avons participé au ralentissement de la propagation du virus pour lequel, finalement, nous n’aurons pas manqué de lits de réanimation.
Comme ce matin.
En donnant un tour de clé dans la serrure, insidieusement, une réminiscence de culpabilité s’est interposée subrepticement entre l’urgence et le plaisir de sortir : « l’ausweis » ; l’attestation de déplacement dérogatoire.
Une simple fulgurance néanmoins. Nous pouvons enfin sortir seuls comme des grands, juste après les près de 10 000 prisonniers récemment libérés de leurs geôles.
Comme ce matin.
Guillerets, nous nous attendions à une débauche de sourires, de démarches tressautantes de légèreté et d’allégresse.
Que nenni !
Il n’y a guère que le marchand de journaux qui, lui, ne s’est jamais confiné pour éluder les mauvaises nouvelles, qui s’est habitué au terrible danger des postillons, aujourd’hui en suspension dans l’air glacé balayé par des rafales de vent tout juste printanières et qui maintient l’affichage labial d’un inexpugnable dynamisme.
Mais les sourires, s’il s’en étire quelques-uns, sont tous masqués. Bandeaux bleus, rectangles blancs, coques bariolées façon soutien-gorge recyclés.
Rien à tirer de ce côté-là.
Comme ce matin.
Nous avons passé une tête, joyeuse uniquement par le symptôme d’un regard brillant, dans le chambranle d’une boutique amie, celle du fleuriste par exemple, ravis de constater sa réouverture, promesse de bouquets poétiques.
Mais l’ère glaciaire n’a pas encore atteint son point critique de dégel et l’enthousiasme sera pour plus tard, quand le thermomètre du PIB – et des achats-plaisir compulsifs – reprendra des couleurs. Si la CGT le veut bien.
Mais ce matin, il n’y aura eu qu’un endroit, un seul, fidèle à son rôle, où par dizaines, nous aurons été assurés de retrouver un peu de réconfort et de bonne humeur.
Cela aura été chez le coiffeur.
L’Histoire, celle avec un grand H, retiendra une foule de faits sérieux, tragiques, dramatiques, tragi-comiques, pathétiques et j’en passe.
Il y aura eu, à côté, en ce 1er jour – historique – de déconfinement, le vernaculaire, les petits faits de rien du tout
Il y aura eu, des coups de ciseaux et des coups de brosses roulées sous le souffle chaud du sèche-cheveux.
Des gestes précis, qui, point par point, requinquent, restaurent, redonnent du lustre.
Tiens, tiens !
Encore quelques héros sans trompette, rescapés de l’inactivité forcée en attendant les masques, qui participent, peignes et pinceaux à la main, comme des sabres au clair, bacs et casques en défense, comme des boucliers, à la reconquête d’une envie d’en découdre.
Au moins avec une bonne tête. Celle de l’emploi, il faut l’espérer.
Une fois cette bataille, certes très cosmétique, pliée.
Une fois la porte du salon soigneusement refermée.
Le soleil retrouve son zénith au cerveau ; et dans son hémisphère droit et dans son hémisphère gauche.
Enfin ! Cheveux au vent !
Par cette grâce capillaire, la combativité libérée, le masque, arraché avec rage, malmené et étrillé sous les assauts de petits poings vengeurs, tombe, vaincu, dans la première corbeille à déchets à portée de tir.