Un billet, court, chaque jour.
Acheter un produit, un service, en dehors de répondre à un besoin, de pallier une incapacité à résoudre soi-même une tâche, doit aussi refléter un certain nombre de principes, de valeurs ou une ligne éthique.
Aujourd’hui, consommer revient, à chaque achat, à un engagement de responsabilité, à un acte citoyen.
En fait, le petit rectangle de plastique qui permet le paiement à crédit, les quelques pièces et billets extraits du porte-monnaie, ont pouvoir de jugement sur les marques.
Pouvoir immense.
Celui d’approuver – ou non – une véritable utilité, un mode de production, une démarche sociale, un maintien à distance confessionnel, un impact sur l’environnement, une image de marque.
Pouvoir aussi de désapprouver un message, celui mis en avant par le biais de la publicité.
Est-ce que l’encart dans un journal que je feuillette, le film publicitaire que je visionne m’adresse un message, une idée du produit ou du service que je partage ?
Est-ce que la marque en question respecte le rôle de la publicité : attirer l’attention, suggérer ?
Est-ce que l’image, le film s’en tient à des arguments factuels qui concernent strictement le produit ou le service ?
Dans bien des cas, ces limites sont respectées.
Mais certains annonceurs les franchissent ardemment et s’engagent dans des prises de position qui renvoient plus à des incitations à opposer des camps, qu’à faire rêver de leurs produits, aussi innovants soient-ils.
Je ne citerai pas la marque. Le texte suffira à situer le nœud de mon propos.
« Parce qu’ils sont tous au même endroit, on va ailleurs.
Parce qu’ils ont peur, on vit.
Parce qu’ils n’ont pas de mérite, on le gagne.
Parce qu’ils gardent pour eux, on partage.
Parce qu’ils préfèrent hier, on choisit demain.
Parce qu’ils veulent posséder, nous, on reste libres. »
Ce n’est pas un slogan.
Ce n’est surtout plus un slogan.
C’est l’anaphore de l’excitation.
C’est un jugement frontal.
Une partition radicale entre les anciennes mauvaises valeurs des uns et les nouvelles bonnes valeurs des autres.
C’est une condamnation sans appel.
Un verdict partial entre ceux qui méritent – mériteraient – et ceux qui ne méritent – mériteraient – plus.
Ces mots sont incrustés dans l’image. Gravés dans le message. Appuyés par une musique aux intonations guerrières.
Ainsi, vous n’êtes pas invités à vous intéresser au service promu, vous n’êtes pas invités à analyser la réalité de l’offre, vous êtes enjoint à prendre parti.
Cette injonction ruine l’intention.
Il n’y a plus de « réclame ». Il n’y a plus de proposition.
Il n’y a qu’une vérité à sens unique.
Il y a le diktat d’une nouvelle norme à laquelle il faut adhérer sous peine de disparaître.
Si vous n’êtes pas là, si vous n’êtes pas de ceux-là, vous n’êtes nulle part, vous n’êtes rien.
Six vertus cardinales terrassant six péchés capitaux.
Un chiffon rouge excitant les uns à déchoir les autres.
Excitation, injonction.
On a le pouvoir d’acheter. Ou pas.
Chacun son évangile de consommation.