Un billet, court, chaque jour.
La Méditerranée est particulièrement capricieuse en hiver.
Il paraît qu’à une lointaine époque – ma référence provient des pérégrinations apostoliques de Saint-Paul qui, du coup, avalait la Galatie à pied – aucun esquif, même ceux des courageux phéniciens, ne prenait la mer en hiver.
Cette parenthèse saisonnière s’appelle « Mare clausum » : mer fermée, interdite à la navigation.
Je confirme que ce n’est pas que de la littérature.
« Loulou » en a fourni un bel aperçu ces dernières vingt-quatre heures.
« Loulou », le nom donné à la tempête qui agite le Liban, s’est bien livrée à toutes les tonalités de la colère : rafales, bourrasques, pluies diluviennes, orages tonitruants, grêle.
Donc, exit le projet Byblos.
Manœuvre de repli sur une journée beyrouthine complète : musarderie et culture.
Petit-déjeuner ici. Une petite popote de bric et de broc tenue par une jolie hipster. Infusion agrumes-gingembre histoire de se doper et d’aller chercher le soleil dans une tasse puisqu’il est en grève aujourd’hui.
Les crêpes sont moelleuses, les assiettes en grès sont belles.
« Service ! »
C’est ainsi que l’on s’engouffre dans les voitures de tout acabit aux plaques rouges, hélées à la sauvage.
Quelques livres pour quelques mètres. Auto-partage assumé.
Cela permet d’éviter les gouttes.
Musée numéro 1 : le Sursock. Retrouver en quelques toiles et sculptures, un Picasso par le détour, présenté par le prisme de ses multiples épouses et conquêtes féminines et des nombreux enfants qu’il en a eu. Picasso père de famille.
Découvrir les artistes libanais, admirer leur sens de la couleur et retenir une délicieuse petite citation pleine de raison :
– « On fait la peinture et après on la comprend ou même, on se passe de la comprendre. ».
Pause-café qui se transforme en déjeuner. Drache après drache, inutile de chercher à mettre un pied hors de la terrasse.
Le tonnerre gronde, la pluie s’intensifie, se transforme quelques minutes en grêle fine, marque une pause, reprend, mitraille le sol et les capots de voiture d’une grêle aux grains plus lourds.
On demande la carte et un tablier de « tawlé », de backgammon. On s’installe vraiment. Les vieux beyrouthins se moqueraient de ma lenteur à compter les flèches, à seulement réfléchir à mes coups ; eux manœuvrent à la vitesse de l’éclair.
Le déjeuner arrive. Service rapide, discret, aimable.
Sandwich dans une main, dés dans l’autre. Deux parties ; une perdue, une gagnée.
La pluie s’arrête.
Les chaussées débordent, de flaque en flaque, mes clarcks en daim caramel font naufrage, des voies d’eau se forment aux coutures et mes chaussettes flottent misérablement.
Le soleil tente une percée.
Raté. Le grain reprend mais aura laissé juste le temps de rejoindre le Musée national pour changer d’époque.
« Litho » : la pierre.
En prendre plein la vue des plus belles pierres depuis le paléolithique jusqu’à l’époque romaine, des sarcophages lourds et massifs aux têtes aux traits finement ciselés, des mosaïques expressives aux drapés soigneusement soulignés.
S’amuser d’une épitaphe grecque trouvée sur une stèle funéraire de femme :
– « Robia, excellente et qui n’a pas causé de peine, adieu ! »
Peut-être les regrets d’un mari éploré ?
Il est cinq heures, le musée ferme. Pas le choix que de se pousser dehors, les lumières s’éteignent, le gardien chante avec entrain la fin de sa journée.
Par chance la pluie se repose.
Quelques pas dans un centre commercial animé et rutilant des lumières de Noël.
Bière.
Autres pas dans le capharnaüm des voitures.
Il fait très nuit, bien humide et bien froid.
Trois courses.
Se laisser tenter par de drôles de confiseries turques en forme de « Tarboosh », de fez, le couvre-chef masculin des Ottomans. 100% sucre, 100% chimie.
Il est temps de rentrer.
Et de trouver les mots justes pour relater cette belle journée hivernale beyrouthine.