« Flâneries 2023 » – # 25 – « Chercher l’histoire »


Retrouver une théâtre fut une étrange sensation, un plaisir hésitant, comme un endroit que l’on découvre pour la première fois ou que l’on redécouvre après en avoir perdu les codes et oublié les charmes. Y revenir pour un spectacle de danse contemporaine : « Shiver / All I Need » d’Edouard Hue, donnait de l’ambition à ces retrouvailles, particulièrement lorsque, dans la moindre anecdote, dans la plus petite originalité du quotidien, écrivain incurable, on cherche sans cesse l’histoire à raconter.

Duo de danseurs, puis neuf, dans une débauche chorégraphique encadrée par une musique métallique, industrielle, celle de nos vies urbaines, mécaniques et trépidantes, celle qui attrape le cœur et en emballe le rythme. Hypnose du mouvement des corps ; l’œil suit les mains, la courbure des pieds, la torsion des bustes, l’amplitude des sauts et des fouettés. Une maîtrise technique parfaite pondérée par la variété du gabarit des danseuses et des danseurs : pas de normes esthétiques, des corps aux corpulences ordinaires, presque celles de monsieur et madame tout-le-monde. C’est à ce détail que se comprend la trame du ballet, son histoire. On est loin des Giselle et autre Lac des Cygnes où l’histoire porte la danse, la rend immédiatement compréhensible. Dans cette présentation, c’est la danse qui porte l’histoire, ou plus précisément encore, c’est dans la combinaison et le jeu des corps, dans leur normalité, que le spectateur doit chercher seul l’histoire.

Trouver un sens à cette écriture est ardu parce que tellement, trop, évidente : il s’agit de nous, de nos vies, de nos liens sociaux dans leur traduction la plus littérale : saccadée, hiératique, fluctuante, frénétique, violente, où la réflexion, la solitude, le silence ne trouvent jamais leur juste part. C’est un portrait cru, cruel, de nous-mêmes.
Le passage de deux à neuf danseurs illustre la difficulté que peut rencontrer chacun à se détacher du groupe, à composer avec ses penchants grégaires, à opposer le sain recul de sa pensée, de son for intérieur, à l’aimant de l’opinion, à la folie de la masse. Nous sommes dans le cœur de l’hyper-communication, de l’hyper-connexion ; de l’aveuglement, la soumission, la perte de sens moral et de dignité.

C’est sur le trottoir, berge piétinée par les passants affairés, rive débordée par le flot luminescent de la circulation, versant écrasé par les néons aux rais aveuglants, que l’on prend conscience de sa passivité face à toutes ces agressions, de son impuissance face à ces déferlements. On voudrait, là, à ce moment, danser tout son refus, toute sa résistance, toute sa révolte. Danser le désir d’un monde paisible.

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