
Sur l’écran du téléphone, le nom du médecin s’affiche. Surpris dans une fiévreuse torpeur, la main du patient décroche. Une voix bien connue, tonique, débonnaire, masculine sans être grave, s’enquiert : « Est-ce que vous allez bien ? »
Seulement deux médecins dans toute une vie, deux praticiens solides, posés, attentifs et puis, à leur retraite, le désert. Des remplaçants, certainement très bien formés, savants, mais des machines, des automates qui gratouillent leurs ordonnances comme une imprimante des listings. Une fois la consultation terminée, payée, la porte refermée, le débit de patients continuera et vous redeviendrez un nom parmi d’autre, sans particularité, sans historique : un élément du travail, une source de revenus. De toutes les façons, le cabinet ferme à dix-neuf heures et après, ce sera le répondeur, ou le 15, ou les urgences.
« Que c’est gentil Docteur, de prendre de mes nouvelles ! »
« Mais c’est normal ! C’était quand même sérieux. »
Normal ? Non Docteur ! Aujourd’hui, un appel de cette nature, spontané, scrupuleux, amical, c’est une perle rare. Si rare que des régions entières, même de praticiens moins dévoués, en sont privées. C’est ce que l’on appelle des déserts médicaux qui ne prennent pas cette appellation seulement parce qu’il n’y a plus de médecins, mais aussi parce que ce ne sont plus que des pantins déshumanisés, des travailleurs à la chaîne qui, quand ils exercent encore, prennent en charge la santé du monde. Il n’y a parfois même plus que des cabines connectées.
Les urgences sont débordées ; pour arrêter le déferlement, il est impératif de reformer des Hypocrate, des médecins de campagne, de famille, des hommes qui aiment les hommes jusqu’au point de les soigner.
« Non Docteur, ce n’est pas normal, c’est exceptionnel ! »
« Des comme vous, pour contenir puis arrêter complètement le drame qui se noue partout en France, il en faudrait des milliers. »