« Flâneries 2023 » – # 101 – « La particule de Dieu »


Quel lien peut-il y avoir entre les araignées de notre métropole, les éclipses et les éruptions volcaniques, la féminisation des mots, l’intelligence artificielle « générative » et la mort du sacré ? À première vue : rien. Sinon qu’il s’agit des sujets de cinq articles parus dans le même quotidien national dans son édition de la fin de semaine.

La France compte 1 622 espèces différentes d’araignées sur son sol, dont 127 n’existent nulle part ailleurs au monde. Un chercheur français, attaché à l’université de Genève, pour remonter l’enchaînement des éruptions volcaniques au Moyen Âge, s’est appuyé sur les traités d’astronomie rédigés, essentiellement par les religieux chrétiens européens. Dans le chahut féministe et progressiste, qui s’attaque au genre des noms de métiers et pousse une novlangue pseudo-inclusive, le quotidien en question maintient l’orthographe « chef » pour désigner le Premier Ministre français, Elisabeth Borne ; et ce n’est pas rien que cette résistance à l’oppression. Un philosophe, spécialiste du monde numérique, commente l’appel à une pause de six mois de la recherche sur l’intelligence artificielle. En quelques mots, il pointe le cynisme de ces signataires qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes alors que nous sommes en pleine expansion d’une humanité légume progressivement privée de sa liberté et de sa créativité de langage. Enfin, une autre philosophe détaille comment, sevré et privé de toute dimension sacrée dans toutes les facettes de son existence, l’homme ne s’émerveille plus de rien, ne croit plus à rien et se voue ainsi à une solitude mortifère.

La disparition des araignées est le moins visible des symptômes d’un changement climatique et d’un effondrement de la biodiversité irréversibles. La méthode employée par Sébastien Guillet pour remonter l’histoire des volcans illustre cette capacité humaine d’ingéniosité, de ténacité et, surtout, de volonté de comprendre la marche du monde par soi-même, au prix d’un travail de fourmi et d’un effort de longue haleine. Le choix du quotidien national de ne pas se plier aux injonctions totalitaires de ces thuriféraire d’un monde sans sexe annonce la limite de cette doxa, peut-être son chant du cygne ; bref, la paix revenue dans les dictionnaires. Quand Éric Sadin rappelle qu’au moment où l’intelligence artificielle a atteint un point de sophistication qu’il est désormais des pays où cette technique gère le crédit social de chaque individu, il ne peut plus être question d’un simple moratoire de façade, qu’il est devenu impératif de renoncer, d’abord individuellement, mais aussi collectivement, à cette technique qui biaise l’information, tue toute faculté de jugement, neutralise peu à peu l’aptitude de discrimination entre le réel et l’artificiel.

C’est le cinquième article qui en fonce le clou de ce phénomène de trou noir, – écologie, connaissance et culture, sexe, intelligence humaine -, qui aspire, à une grande vitesse constante, chacun des repères communs qui fondent nos sociétés, cette humanité plurielle et dynamique. Le sacré, ce mystique qui donne, même hors dogme, une puissance transcendante à toutes les manifestations de la vie, de l’araignée à la moindre fleur, du premier babil d’enfant au poème de Lamartine. Nous sommes, autant individuellement que collectivement, face à un abyme : se priver d’un environnement foisonnant de variétés et d’espèces, couler vers un avenir sans espoir, sombrer dans un gouffre insondable où chacun se fondra dans une multitude sans aspérité. Mais nous sommes aussi, autant individuellement que collectivement, devant un choix d’avenir, celui de tourner le dos à cette facilité trompeuses, à ces chimères de vie meilleure et d’accepter la vie dans toutes ses nuances, dans tout son éphémère. Renoncer au scientifique, accueillir l’inexplicable : la particule de Dieu.

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