
Que cherche-t-on lorsque l’on va voir un documentaire, Dancing Pina, sur la danse, à propos d’une grande chorégraphe disparue : Pina Bausch, qui célèbre l’héritage qu’elle a laissé et fait connaître ceux qui se sont donnés pour mission de transmettre cette esthétique particulière ?
La danse est une forme d’expression artistique par le corps très naturelle mais à laquelle les cultures, notamment européennes, ont donné un cadre très contraint. La danse est un langage, chaque geste compose un alphabet. Mais cet alphabet pourtant très modulaire possède des constantes qui permettent à des apprentissages très divers de la danse de converger, de se croiser et de dialoguer. C’est ce que le reportage tend à illustrer. Pina Bausch a créé un langage dansé si bien adossé aux possibilités physiques communes à tous les corps de toutes les origines, que ce n’est plus seulement la technique qui permet l’harmonie entre les danseurs, mais leur capacité justement à se défaire d’elle, à se rendre vulnérables sans elle, à avoir le courage de se laisser métamorphoser par une œuvre.
Le documentaire joue entre deux travails de préparation d’une œuvre de Pina Bausch : l’une à Dresde au Semperoper : « Iphigénie en Tauride », d’après le livret de Christoph Willibald Gluck ; l’autre à Dakar à l’École des Sables : « Le Sacre du Printemps », d’après la chorégraphie de Vaslav Nijinsky et la musique d’Igor Stravinsky. D’un côté, une imprégnation culturelle et technique très européenne de la danse, de l’autre une culture bien plus expressive et diversifiée, mais tout aussi codifiée.
Ce documentaire, au-delà de montrer la création d’un spectacle, de suivre pas à pas la préparation des corps à une symphonie chorégraphique, illustre la capacité que possède tout homme à tendre vers l’œuvre d’art dont il peut lui-même servir d’outil ; sans aucun autre artifice. À danser, l’homme peut tout aussi bien exprimer sa force et sa vulnérabilité, son besoin d’intimité et son besoin de sociabilité ; c’est une controverse sans diatribes, une lutte sans heurts : un combat pacifique. La résolution de ces oxymores se retrouve à la fin du reportage, dans la représentation scénique des deux œuvres : l’une sur la scène très formelle du Semperoper de Dresde, l’autre, Covid et fermetures des salles sénégalaises oblige, sur la plage, dans le clair-obscur du couchant. Dans l’une et l’autre de ces interprétations, l’émotion dansée se propage au-delà de la pellicule et atteint le spectateur en plein cœur et en plein corps.